Plusieurs générations de militants célèbrent la mémoire d’Alain Krivine
Son parti, plusieurs figures de gauche ainsi que des anonymes ont rendu hommage au dirigeant historique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), décédé le 12 mars à 80 ans, lors d’une cérémonie au Père-Lachaise à Paris.
Que sont des obsèques militantes si ce n’est un pied de nez à la mort ? Dans le cas d’Alain Krivine, figure historique de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), décédé le 12 mars 2022, la poursuite acharnée de l’idéal politique s’affiche sur la grande banderole rouge à l’avant du cortège qui accompagne l’homme au cimetière parisien du Père-Lachaise : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ».
Anastasie, retraitée anonyme, non encartée, est venue marcher avec plusieurs centaines de personnes entre la place de la Nation et le Père-Lachaise lundi 21 mars 2022, pour célébrer « ce symbole » et « cette mémoire, surtout par les temps qui courent, si sombres ». Pour elle, Krivine, ce sont les « gueux qui en remontrent », Mai-68, le combat contre la guerre du Vietnam et celle d’Algérie.
De jeunes militantes et militants, en haut de la rue des Pyrénées, reprennent avec ferveur la filiation, entonnant un air connu des manifestations françaises : « Première, deuxième, troisième génération, nous sommes toutes et tous des camarades d’Alain ! »
Obsèques d'Alain Krivine, à Paris, le 21 mars 2022. © Alain JOCARD / AFP
Des badges LO (Lutte ouvrière) ou du POI (Parti ouvrier indépendant) sont épinglés au revers des vestes, dans le ciel flottent des drapeaux de l’UCL (Union communiste libertaire), de Génération·s, et, bien sûr, de la LCR ou du NPA (Nouveau parti anticapitaliste). La grande famille de la gauche restée radicale est là, malgré les désaccords, les revirements, les trahisons.
Des badges LO (Lutte ouvrière) ou du POI (Parti ouvrier indépendant) sont épinglés au revers des vestes, dans le ciel flottent des drapeaux de l’UCL (Union communiste libertaire), de Génération·s, et, bien sûr, de la LCR ou du NPA (Nouveau parti anticapitaliste). La grande famille de la gauche restée radicale est là, malgré les désaccords, les revirements, les trahisons.
Dans la foule défilent aussi plusieurs candidates et candidats à la présidentielle, élection à laquelle Alain Krivine s’est confronté en 1969, puis en 1974, premier révolutionnaire en cravate à percer l’écran. Philippe Poutou marche avec ses camarades du NPA, l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, ancien trotskiste tendance lambertiste, est accompagné des député·es Clémentine Autain, Alexis Corbière, Éric Coquerel, qui déposeront quelques minutes plus tard une grosse gerbe d’œillets rouges près du cercueil d'Alain Krivine.
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Pour l’heure, ils grimpent comme les autres vers la colline du XXe arrondissement, entourés de vieilles et vieux amis, qui se tombent dans les bras, heureux de se retrouver, tristes de l’occasion. Éric, arrivé de Gérardmer dans les Vosges, chemine près de Marie-Claude du Mans. « Les meetings d’Alain, en province, c’était l’évènement à chaque fois ! On sortait revigorés ! », se souvient la retraitée.
À chacune de ses venues dans ses Vosges adorées, Éric proposait au porte-parole de la Ligue d’aller marcher dans les montagnes, de faire du ski, mais c’était « la politique, la politique, la politique ! ». Quand Alain Krivine est décédé, début mars, les copains de bistrot, de gauche comme de droite, ont salué auprès d’Éric « Krivine, l’homme intègre, qui n’a pas bougé, pas piqué dans la caisse, pas trahi ».
Des passants, à l’arrivée du cortège au Père-Lachaise, lèvent le poing. Au son des préludes de Bach interprétés par Mstislav Rostropovitch, le violoncelliste de la chute du mur de Berlin, le cercueil entre sous la coupole du majestueux crématorium. Nous ne sommes pas loin du mur des Fédérés, devant lequel, il y a 50 ans, s’était recueilli le jeune Krivine en hommage à la Commune de Paris, en compagnie de ses compagnons de route, François Sabado, Charles Michaloux, le futur socialiste resté ami Henri Weber, et bien sûr Daniel Bensaïd.
Décédé en 2010, ce dirigeant de la LCR, ami fidèle d’Alain Krivine, disait de lui ceci dans ses écrits : « [Alain Krivine] s’est révélé matériellement, médiatiquement, moralement incorruptible. [...] Formé dans les luttes contre toutes les formes de bureaucratie, Alain était une sorte de grand frère rassurant et un exemple de rigueur égalitaire. » Le portrait est repris dans L’Anticapitaliste, journal du NPA, distribué jusque sur le parvis du crématorium du Père-Lachaise, noir de monde, où est retransmise la cérémonie.
Au Père-Lachaise, pour les obsèques d'Alain Krivine, le 21 mars 2022. © Mathilde Goanec
Sa famille, à l’intérieur, dessine un autre tableau, plus tendre, de l’homme Krivine. Michèle, sa femme, « plus Jaurès que Lénine », se souvient de sa première rencontre, à 13 ans, avec ce petit voisin, qui avait passé plus de temps à « discuter du communisme et de la guerre d’Indochine » avec son père qu’à noter son jeune émoi. Ses filles et petites-filles ont raconté son humour, ses passions inavouables, de Céline Dion à Michel Sardou – une bande-son qui tranche avec les Ferrat, Renaud, ou encore le Bella Ciao du jour –, mais surtout l’éclat d’un foyer familial envahi par les militantes et militants du monde entier.
Et dans ce portrait esquissé de proche en proche se dessine une vie politique arrimée aux grandes tragédies et espoirs du siècle passé. Le stalinisme des années 50 et les voyages à Moscou, la décennie 60, « exaltante », selon sa compagne, le « coming out trotskiste » raconté par son frère jumeau Hubert Krivine, la rencontre des militants pour la libération de l’Algérie, Mai-68, le bref passage en prison, la construction de la IVe Internationale, « l’œuvre de sa vie ». Seul le drapeau rouge frappé des insignes de « la quatrième » entoure d’ailleurs le cercueil du militant communiste et révolutionnaire.
L’héritage d’Alain Krivine, c’est cette génération 68. Il a donc, au-delà de la personne, une grande tristesse à voir qu’elle disparaît.
Louise, militante du NPA
Elle résonne aujourd’hui encore, cette aventure, quand Hubert Krivine parle de l’acharnement du ministre de l’intérieur en 1968, Raymond Marcellin, « le Darmanin de l’époque », ou qu’Alex, venu d’Espagne au nom de la IVe Internationale, lit les témoignages émus de camarades russes et ukrainiens, alors que la guerre revient à l’est de l’Europe.
La vision politique d’Alain Krivine n’était pas un « drapeau, que l’on brandit pour se singulariser », mais un « étendard, qui brille fort », déclare en clôture Olivier Besancenot. « Un étendard frappé du sceau de l’internationalisme, rétif à tous les impérialistes, antifasciste, et rouge, d’un marxisme non dogmatique, vivant et unitaire », a poursuivi l’ancien candidat à la présidentielle pour le NPA, très ému.
Malgré la volonté évidente du passage de flambeau, le rappel incessant à « l’optimisme de la volonté », l’assemblée réunie dedans et dehors pleure le militant historique. « Bien sûr, nous renouvelons les formes et les combats, féministes, écologiques, antiracistes, relève Louise, 36 ans, membre du NPA. Mais l’héritage d’Alain Krivine, c’est cette génération 68. Il a donc, au-delà de la personne, une grande tristesse à voir qu’elle disparaît. La mémoire, c’est plus difficile à transmettre quand elle n’est plus incarnée. »
Un homme, avant que ne sorte le cercueil pour un dernier hommage populaire, se tient droit, le regard fixe, un petit bouquet de fleurs jaunes à la main. Sur le carton blanc, épinglé au papier, il est écrit simplement : « Pour Alain Krivine ».