Les dettes odieuses n’engagent pas le peuple
par Ridha Maamri
La dette extérieure de la Tunisie et ses corollaires, notamment les intérêts exorbitants qui pèsent lourd sur le budget de l’Etat et l’atteinte à la souveraineté du pays en matière de planification économique mais aussi politique, figurent parmi les points les plus contentieux après la révolution. Cette thématique, qui crée tant de polémiques dans les espaces politiques et économiques, a été débattue, vendredi, dans un atelier faisant partie du programme des travaux de l’assemblée préparatoire du Forum social mondial (FSM).
Après avoir présenté les participants internationaux dont certains activistes du comité de l’annulation des dettes du tiers-monde (Cadtm), le modérateur M. Fathi Chamkhi a résumé les axes de réflexion de l’atelier dans une série de questionnement dont notamment : « Dans ces circonstances exceptionnelles, doit-on payer ces factures ou se concentrer sur d’autres priorités ? Est-ce que c’est le peuple qui doit payer les dettes des régimes déchus ? ». Le bilan de cet atelier sera communiqué sous forme de recommandations à l’assemblée générale, à Monastir. Loi internationale à l’appui, tous les intervenants sont unanimes à ce que « les dettes d’un régime tombent avec la chute du régime ». Ainsi, leur demande est claire et la méthodologie est bien définie : d’abord le gel du paiement, ensuite un audit des dettes pour distinguer les dettes odieuses, et enfin l’annulation de ces dettes qui n’ont pas profité au peuple. Les panelistes se sont basés sur le célèbre cas de l’Argentine qui a suspendu le paiement de sa dette envers certains bailleurs de fonds pendant quatre ans. Mieux encore, la suspension dure jusqu’à nos jours pour d’autres créanciers, à savoir plusieurs pays européens et d’Amérique du Nord. Pendant ce temps, ces grosses enveloppes ont été pompées dans l’économie du pays latin qui n’a pas tardé à se rétablir et progresser. Et cette décision n’a pas affecté l’image du pays sur le marché financier international. « Les prêteurs n’appliquent aucune mesure spécifique pour pénaliser l’Argentine », explique M. Renaud Vivien, juriste à Cadtm. Donc, à en croire les dires du juriste international, la suspension du paiement de la dette et l’annulation des dettes odieuses ne porte aucune atteinte à l’image de la Tunisie, celle du « bon élève », comme l’évoquent plusieurs économistes et politiciens. S’attardant sur les dettes odieuses, il énumère « les dettes qui n’ont pas profité au peuple, qui n’ont pas été consenties par le peuple et celles qui montrent une complicité avec les créanciers ». Plus pragmatique, il renchérit « la dette est un mécanisme de transfert de richesse des pays du Sud vers les pays du Nord ». En effet, l’histoire a montré que la dette a servi d’abri pour imposer des programmes d’ajustement structurel aux pays du Sud pendant les années 80, ainsi que des plans d’austérité et de rigueur à plusieurs pays européens, de nos jours. Ce qui se traduit, habituellement, par un gel des salaires, des privatisations des entreprises publiques et une dégradation des services sociaux. Une intervenante égyptienne a récité le cas d’une entreprise nationale de sidérurgie qui a été mise à niveau par des fonds empruntés avant qu’elle ne soit cédée à un prix dérisoire à un homme d’affaire très proche du régime déchu. Dans ce cas de figure les crédits afférents, payables par l’argent des contribuables, n’ont servi qu’au régime et ses alliés. Dans la même perspective, le marocain Mimoun Rahmani a rappelé que plusieurs crédits ont servi à des projets inutiles. Il les qualifie d’« éléphants blancs ». Bref, il est à vérifier dans chaque dossier si l’Etat était obligé de recourir à l’endettement extérieur pour financer ses projets, ont recommandé les intervenants.
En conclusion, tous les participants considèrent la dette comme un instrument de domination politique et économique. Et que les dettes des pays du tiers-monde, notamment les pays du printemps arabe, ont bénéficié aux régimes totalitaires déchus dont la valeur des biens mal acquis a évolué de pair avec l’endettement du pays !
Paru dans le journal tunisien La Presse