Ο Μελανσόν για το ελληνικό χρέος
L’effet domino, vite !
J. L. MELENCHON
(...) Le sort de la dette de la Grèce est évidemment le cœur du futur de ce pays ! Syriza l’a emporté par ses propositions sur la gestion de cette affaire. Beaucoup de commentateurs sont absolument paralysés devant cette question. Pour eux, cette dette est une sorte de fétiche dont la réalité ne peut être mise en cause. Voyons cela. Vous qui me lisez, venez faire provision d’arguments… Âmes sensibles s’abstenir…
Certains prétendent même que son annulation provoquerait une catastrophe financière majeure. « Payez ou ce sera le désastre », disent-ils. En réalité c’est payer qui est le désastre. Tout le monde peut le constater en regardant l’état dans lequel se trouvent les pays qui payent. En réalité, tout le monde sait que cette dette est impayable. Je demande que l’on prenne cette expression au pied de la lettre. On ne peut pas la payer. Dire qu’elle sera payée est absurde. Cela revient à annoncer au peuple concerné qu’il devra consacrer toutes ses ressources, à perpétuité, à payer la dette. Car ce genre de dette est une boule de neige. Elle représentait 120 % de la richesse annuelle de la Grèce au début de la crise. Après 5 ans de cure d’austérité totale elle représente 190 % de la richesse produite en une année ! La discussion ne peut donc avoir qu’un objet : comment effacer la dette sans casse, c’est-à-dire sans que le système bancaire s’effondre. Aujourd’hui, dans ce post, je veux d’abord donner des arguments qui montrent pourquoi la question de la dette grecque ne se pose pas dans les termes simplistes dans lesquels nombre de commentateurs la posent. Je veux montrer que l’Histoire récente donne des arguments forts pour contester la prétendue intangibilité de cette dette.
Dans mon prochain post, je présenterai mon analyse sur ce que cette dette est déjà actuellement et comment l’effacer techniquement sans précipiter tout le système dans un bug géant.
La dette ? Quelle dette ?
Avant d’examiner les questions techniques, il faut bien réfléchir à la philosophie de cette affaire. Les puristes disent « une dette est un accord entre deux parties, il faut le respecter » : donc il faut la payer. C’est ce qu’a répété en Grèce Pierre Moscovici, le commissaire européen du PS, ces jours derniers : « Une dette n’est pas faite pour être effacée, elle existe, elle doit être remboursée ».
Il va de soi que la vie en société repose sur le respect des conventions signées. Car annuler unilatéralement un accord c’est s’exposer à ce que les parties adverses en fassent autant sur d’autres accords et il n’est pas certains que le bilan final soit positif pour celui qui prend l’initiative de la chaîne des ruptures. Mais un premier débat porterait évidemment sur la légitimité de l’accord conclu. Un bon accord suppose l’égalité des parties et donc la liberté d’agir de chacune d’entre elles. Exemple : une signature donnée sous la contrainte n’entre pas dans cette catégorie. Ensuite, on distinguera ce qui est dû au titre du capital et ce qui est dû au titre des intérêts. Le capital peut être considéré comme une propriété, même si dans le cas du prêt bancaire sa valeur n’existe pas puisque la banque n’a pas dans ses coffres l’argent qu’elle prête. Au moment de la discussion sur la dette, on pourrait vérifier si la valeur du capital emprunté a été ou non remboursée. La surprise, ce sera de constater que dans la plupart des cas, le capital initial est largement remboursé. Ainsi quand on entend dire « il faut rembourser la dette » la phrase est souvent un mensonge. Il faudrait dire « il faut payer les intérêts ». On comprend pourquoi cela n’est pas dit de cette façon… Car tout le monde serait tenté de s’interroger sur le taux d’intérêt payé et sur sa justification. Ce fait banal touche aussi au cœur de la doctrine financière. Car les taux d’intérêt usuraires sont imposés au nom du « risque de défaut », non ? Bien sûr, ces taux augmentent le risque de défaut, c’est bien pourquoi ce système est absurde. Mais ce n’est pas le plus important ! Le plus important, c’est que si l’on fait payer un risque c’est donc qu’il est prévu aussi qu’il puisse se réaliser. Ceux qui ont saigné la Grèce au nom du risque ne peuvent protester quand il se concrétise !
Une fois posé ceci en général, voyons les cas concrets. Car en sens inverse, il arrive que les prêteurs soient conscients du fait que leurs exigences sont insoutenables et que, s’ils les maintiennent, tout le système qui les contient eux-mêmes pourrait s’effondrer. C’est ce qui s’est produit au lendemain de la seconde guerre mondiale à propos de l’Allemagne vaincue. Sa dette à l’égard des autres pays fut effacée en quasi-totalité. Il s’agissait d’empêcher que le martyr du remboursement des immenses dégâts et carnages dus aux armées allemandes dans toute l’Europe pousse les citoyens dans les bras des communistes et de l’Allemagne de l’est. Le 27 Février 1953, la Conférence de Londres aboutit à l’annulation de près des deux tiers de la dette allemande (62,6%) par ses créanciers étrangers ! La dette d’avant-guerre, qui avait été une des causes directes de la victoire des nazis fut radicalement réduite de 22,6 milliards à 7,5 milliards de Marks. La dette d’après-guerre est réduite de 16,2 milliards à 7 milliards de Marks. Ce sont des effacements considérables. L’accord fut signé entre la toute nouvelle RFA et pas moins de 22 pays créanciers. Parmi les 22 créanciers, on trouve les États-Unis, la Grande Bretagne, la France, mais aussi la Grèce elle-même ! Cet exemple montre comment parfois on peut décider d’une annulation radicale pour sauver l’équilibre d’un système !
J’ai un exemple de ce que je viens d’énoncer que je juge encore plus parlant. C’est celui de la dette… de l’Irak. Après la deuxième guerre du Golfe, celle que ne firent ni la France, ni l’Allemagne, ni le Canada et ainsi de suite, les États-Unis dénoncèrent la dette contractée par le régime de Saddam Hussein. Bush fils la nomma « dette odieuse », reprenant un terme que seuls utilisaient déjà les altermondialistes. Ces derniers l’avaient eux-mêmes emprunté à une doctrine du 19e siècle. Elle est apparue lors du conflit opposant l’Espagne et les États-Unis en 1898. A cette date, Cuba, jusque-là colonie espagnole, passe sous le protectorat musclé des États-Unis. L’Espagne exige alors des États-Unis le remboursement la dette de Cuba auprès d’elle. Les USA refusent. Ils déclarent cette dette « odieuse », c’est-à-dire contractée par un régime despotique pour mener des politiques contraires aux intérêts des citoyens. « Ce qui est important, c’est que cette déclaration, finalement reconnue par l’Espagne, est inscrite dans un traité international, le Traité de Paris, qui fait donc jurisprudence. » note Eric Toussaint à qui j’emprunte ce savoir.
Peu importe à cette heure les démêlées sur le sujet de cette dette en particulier. En suivant le lien mes lecteurs en apprendront davantage et je leur demande de le faire pour fortifier leurs arguments quand ils devront les porter dans leur environnement. Au final, la dette irakienne fut annulée à 80% ! Cela représentait 120 milliards de dollars ! Retenez ce chiffre. C’est plus du tiers du montant de la dette grecque au début de la crise ! Suivez le raisonnement. Chacun s’accorde à dire que les comptes publics étaient maquillés par les gouvernements de droite sur la base des conseils donnés dans ce sens par Goldman-Sachs ! On peut donc qualifier cette dette de « dette odieuse » dans le sens que Bush lui donnait à propos de l’Irak !
L'Allemagne doit payer
Mais pour l’instant, faisons comme si nous acceptions la thèse du remboursement obligatoire indépendamment de toutes circonstances. Dans ce cas, si la Grèce doit payer la dette, ne doit-on pas lui rembourser d’abord celle qu’elle détient auprès des autres, de façon à lui permettre de payer la sienne ? C’est exactement ce que dit Tsipras. Les Allemands ont occupé la Grèce au cours de la seconde guerre mondiale et ils se sont livrés dans ce pays à plusieurs massacres de masse en plus des destructions habituelles. Le comble du cynisme, c’est qu’ils ont fait payer à la Grèce les « frais d’occupation ». Cela représente 168 milliards d’euros actuels. Tsipras a donc prévu de les réclamer à l’Allemagne. « Dès que notre gouvernement sera en fonction, cette question fera l’objet d’une demande officielle » a-t-il déclaré. C’est en effet l’équivalent de la moitié du montant de la dette actuelle. Est-il légitime de réclamer cette somme ? Tenons compte du fait que l’Allemagne actuelle se sent assez comptable des exactions de l’Allemagne nazi pour servir des rentes aux survivants de la Shoah et même pour avoir fait des dons conséquents à Israël, non pour réparer ce qui restera à jamais irréparable, mais comme reconnaissance de sa culpabilité. Cette culpabilité ne peut être ignorée en Grèce et la responsabilité de l’Allemagne dans l’extorsion de fonds violente en Grèce, bien signalée par le terme de « frais d’occupation », ne peut être abrogée. Peut-être dira-t-on que c’est de l’histoire ancienne et qu’il faut savoir tourner la page. Soit. Mais alors la règle doit s’appliquer dans tous les cas.
Ce n’est pas ce qu’a fait la France quand elle a réclamé au nouveau pouvoir russe de monsieur Poutine le paiement des emprunts russes contractés à la fin du dix-neuvième siècle par les Tsars de Russie. Cette dette avait été annulée par le gouvernement des bolchevicks. Cette question des emprunts russes a été réglée par un accord signé en 1997 entre la France et la Russie. Il a consisté en un versement par la Russie à la France 400 millions de dollars ! Les Russes ont donc payé à la fin du vingtième siècle pour une dette dont les premiers titres datent de 1898 ! Mais l’affaire n’est pas close pour autant. Des arrêts du Conseil d'État, déclarent que cet accord entre États n'éteint pas les droits des porteurs privés vis-à-vis de leur débiteur (Conseil d'État n° 226490 à 236070 séance du 12 mars 2003, et Conseil d'État n° 229040 séance du 7 janvier 2004). Peu avant son élection Nicolas Sarkozy avait confirmé cette position. Il l’a fait par écrit. Il s’agit d’une lettre signée le 19 mars 2007 adressée aux porteurs privés réunis en association. En voici le passage clef : « L'accord franco-russe signé le 27 mai 1997 a eu pour effet la renonciation mutuelle des réclamations respectives des gouvernements français et russe. Néanmoins, il n'a pas pour autant éteint les droits de créance des ressortissants français sur le gouvernement russe. La situation n'est donc pas figée ». On ne peut être plus clair. Dès lors, ce qui est vrai face aux Russes cent vingt ans plus tard cesse-t-il d’être vrai face aux Allemands soixante-cinq ans après les faits ? Doit-on rappeler que les crimes des nazis sont imprescriptibles ?
Tout ce qui précède est destiné à donner l’environnement historique et culturel de la question de la dette grecque, qui est présentée comme une sorte de fait indiscutable avec la dose de terrorisme intellectuel habituelle dans ce type de situation. Voici ce qui me frappe le plus : on considère comme un fait d’évidence qu’il y aurait une sorte de « responsabilité collective » des Grecs vis-à-vis de la dette. Pourquoi imputer à tout un peuple les pillages de quelques-uns ? Surtout quand ce petit nombre maquillait les comptes publics pour cacher ses turpitudes. Et cela avec l’aide d’une banque, Goldman-Sachs, que nul n’a inquiétée depuis pour ces faits ? Et pourquoi imputer aux Grecs cette responsabilité collective vis-à-vis d’une telle question alors que l’on se refuse à juste titre à établir une responsabilité collective du peuple allemand dans les crimes du nazisme, alors même que ceux-ci furent commis avec une participation individuelle assez massive, que les moindres images d’archives rappellent sans contestation possible.