L’abstraction contre le droit des peuples
À force d’abstraction, certain·es inventent une géopolitique dénuée d’êtres humains, et semblent, en particulier, oublier les Ukrainien·nes bombardé·es, massacré·es, déporté·es, réfugié·es et aussi résistant·es… C’est pourtant le présent et l’avenir des populations ukrainiennes qui devraient être au centre des politiques posées par le crime d’agression.
Comme hier les populations vietnamiennes, irakiennes ou libyennes assaillies et meurtries par les armées étasuniennes, les populations afghanes par les armées «soviétiques» puis américaines avant celles des talibans, comme les populations birmanes ou syriennes détruites par leurs propres dictateurs (avec, ne l’oublions pas, l’appui du gouvernement russe), les populations ukrainiennes agressées font face aux armées de l’État russe réellement envahissantes et criminelles.
Le refus russe de dire la guerre devrait nous rappeler celui de l’État français contre les populations algériennes luttant pour leur autodétermination. Les gouvernements impérialistes contestent toujours, y compris par les armes, le droit à la décolonisation. Les populations ainsi agressées ont le droit de se défendre par tous les moyens efficaces et nous devons, ici et ailleurs, nous positionner clairement pour rendre concret ce droit et effectifs les moyens de ces résistances.
Nous savons que la militarisation des sociétés est un frein aux processus d’émancipation. Nous connaissons la place du complexe militaro-policier dans le fonctionnement du capitalisme, la concurrence exacerbée entre impérialismes dans le cadre d’une mondialisation sur le dos des peuples. La guerre de Poutine a de dramatiques conséquences sur l’alimentation mondiale, sans oublier l’amplification de la dégradation climatique. Est-ce une raison pour perdre le fil d’un raisonnement politique et adopter une position de type munichoise (les concessions territoriales à Hitler – l’abandon de la Tchécoslovaquie – n’ont pas permis d’éviter la Seconde Guerre mondiale). Comment ne pas conseiller la relecture du texte d’Étienne Balibar, « Le pacifisme n’est pas une option » [1].
Les rouges-bruns, les néocampistes et leur anti-impérialisme des imbéciles [2] soutiennent ou justifient les actions de Vladimir Poutine au nom de la critique de l’impérialisme américain ou de l’OTAN. De leur point de vue, les populations ukrainiennes ne sont jamais des sujets de droit, des sujets autonomes, de libres citoyen·nes. Cette négation des Ukrainien·nes se double de la négation même des réalités impérialistes et colonisatrices de l’État russe, en droite ligne de leur soutien apporté aux dictateurs et leurs politiques criminelles – que cela soit Staline, les Khmers rouges, Bachar el-Assad, pour ne citer qu’eux.
S’ajoute aujourd’hui aux fracas mensongers une musique qui n’est pas sans évoquer celle d’un certain esprit munichois. Notre ami Yorgos Mitralias [3] aborde avec humour l’étrangeté des raisonnements de certain·es. Reprenons l’exemple de la guerre du Vietnam ou de la guerre d’Algérie. Si certain·es avaient déjà prôné la paix et non la victoire des peuples d’Indochine ou d’Algérie, c’est bien la combinaison des résistances armées et des campagnes de soutien internationales qui a permis les défaites des impérialismes étasuniens et français. Et hier comme aujourd’hui, notre appui aux populations résistantes aux agressions peut s’exprimer simplement : retrait immédiat et sans condition des troupes d’occupations de l’ensemble du territoire et exigences de réparations.
Nous partons des résistances et des mobilisations pour un autre avenir que celui dressé par le fracas des armes, sans rien céder sur le droit des populations ukrainiennes, ni de celles et ceux bélarusses ou russes qui s’opposent aux pouvoirs militarisés. Il ne s’agit donc ni de raisonner Vladimir Poutine ou d’autres, ni de discours sur la rationalité de la paix, ni de négociations sous le feu des armes de l’armée russe.
Réconcilier la morale et la politique ne peut se faire sur les cadavres ukrainiens !
Didier Epsztajn [4]
[1] www.syllepse.net/syllepse_
[2] Leila Al-Shami, « L’anti-impérialisme des imbéciles », https://
[3] Voir Yorgos Mitralias, « Une guerre étrange où on interdit à l’Ukraine que Poutine “soit humilié” », p. 63.
[4] Didier Epsztajn est membre des Brigades éditoriales de solidarité et animateur du blog