Annulation de dette en Croatie : peut mieux faire...
par Pierre Gottiniaux
Le gouvernement a annoncé lundi qu’il allait annuler les dettes de 60 000 personnes parmi les plus démunies du pays. Il s’agit de dettes à l’égard de sociétés de services publics, de compagnies de téléphonie (privées) et de banques (privées, à l’exception d’une banque publique). Cette annulation de dette a été négociée par le gouvernement avec toutes ces compagnies, et sera supportée uniquement par ces dernières. Un bel exemple de ce qu’une volonté politique ferme peut obtenir des entreprises privées – même si l’exemple a ses limites, et pas des moindres.
Cette mesure concerne donc 60 000 personnes, vivant avec des revenus inférieurs à 1 250 kuna par mois (162 €) et une dette inférieure à 35 000 kuna (4 550 €). Cette mesure ne sera accessible qu’aux personnes qui ne disposent pas d’économies, ne sont pas propriétaires, et sera appliquée en priorité à ceux qui se trouvent déjà sous un régime d’allocations sociales. La mesure devrait coûter, selon le gouvernement, 46 millions d’euros, l’équivalent de 0,1 % du PIB de la Croatie, et sera donc porté intégralement par les sociétés créditrices. Alors oui, d’un côté c’est pas mal, et les personnes qui vont bénéficier de la mesure vont y voir une vraie – bien que courte – bouffée d ’air frais, mais d’un autre... on ne peut pas dire que c’est ça qui va changer le monde, ni même la situation de la Croatie, en récession depuis 6 ans. Car il faut bien noter que la mesure s’accompagne de... rien du tout ! Rien pour lutter contre le chômage qui frôle les 20 %, rien pour aider ces familles à sortir de la misère – la mesure concerne des gens qui vivent avec moins de 162 € par mois dans un pays où le salaire minimum est de 737 €.
Par contre, cette année se tiendront en Croatie des élections législatives et le parti de centre gauche du premier ministre, Mr Milanović, vient de perdre les élections présidentielles qui se sont déroulées entre décembre 2014 et janvier 2015. Cette mauvaise posture pour le premier ministre et le fait que sa mesure hautement symbolique ait été annoncée quelques jours après le résultat des élections présidentielles prouvent qu’il s’agit là d’une décision populiste, électoraliste, visant à redorer le blason du parti plutôt qu’à redonner du pouvoir d’achat à des gens qui, quoiqu’il en soit, n’en auront pas plus une fois leur dette effacée.
La récession économique que connaît la Croatie est certainement liée à l’endettement privé considérable que connaît le pays, mais cela va bien au delà de factures impayées. Une grande partie de la population subit le poids de dettes hypothécaires émises en francs suisse, un produit très courant en Croatie (ainsi qu’en Pologne et en Hongrie) et largement promu par les banques privées dans les années 2000. Mais les variations du franc suisse à la fin des années 2000, et la récente décision de la Banque Nationale Suisse de délier le cours du franc suisse de celui de l’euro ont eu pour conséquence de faire exploser les intérêts comme les montants nominaux des prêts à rembourser pour toutes les familles qui en ont contracté. Malgré le combat mené par l’association Franc (Udruga Franak) pour faire reconnaître la responsabilité des grandes banques privées dans cette affaire, le gouvernement ne se mouille pas beaucoup et prend des mesures « à la marge » : le premier ministre a récemment annoncé une mesure visant à fixer le taux de change entre la kuna et le franc suisse pour protéger les emprunteurs face à l’envol du franc suisse après la décision de la BNS. Mais la situation était déjà catastrophique bien avant cela ! Le gouvernement devrait responsabiliser les banques privées à l’origine de ces contrats de prêts et les mettre à contribution pour solder cette crise qui touche directement 10 % de la population – et indirectement le pays tout entier.
La mesure d’annulation de dette pour les plus pauvres est déjà annoncée à grand renfort de communication comme étant tellement généreuse que l’on a fort peu de chance de la voir se produire à plus grande échelle. Une telle décision aurait pourtant bien plus d’effet sur l’économie – et sur la popularité du premier ministre – surtout si elle s’accompagnait de véritables mesures sociales favorisant l’emploi et le financement de l’économie réelle, notamment par une banque publique socialisée, au service de la population. Pas encore la panacée, d’accord, mais toujours bien au delà de ce que le prétendu gouvernement de gauche actuel propose.