PCF : avec ou sans le Front de gauche? – L’espérance de vie dudit Front serait-elle courte?

MARTELLI Roger*

martelliÀ une poignée de semaines des élections européennes, L’Humanité publie une double page de points de vue sur le Front de gauche [1]. Si l’on se fie à ces propos, l’espérance de vie dudit Front est bien courte.

Le premier texte (« Pour une bataille efficace du PCF ») est signé par le noyau des économistes du PCF et par Nicolas Marchand. Ces responsables ont toujours affirmé leur méfiance à l’égard de l’alliance avec Jean-Luc Mélenchon et considéré que la question de la place primordiale du PCF est la seule qui vaille considération. Leur point de vue peut être résumé en un syllogisme : la construction d’une perspective bien à gauche suppose que l’on ne soit pas seulement « contre » (l’état des choses existant) mais « pour » (un état alternatif) ; or Mélenchon (et le Front de gauche avec lui) est uniquement contre ; donc le rassemblement ne peut être efficace que s’il a en son centre le PCF qui est le seul à être franchement pour.

Le second texte (« Ouvrir le débat sur notre rassemblement et ses objectifs ») est le fruit d’une rencontre entre des militants classés proches du secrétaire national (Éliane Assassi), des dirigeants qui furent naguère classés « huistes » (Lydie Benoît), Didier le Reste (ancien responsable des cheminots CGT), André Chassaigne (qui fut candidat à la candidature en 2011 contre Mélenchon), le secrétaire fédéral du Pas-de-Calais (dont l’amour pour le Front de gauche fut toujours très relatif) et des secrétaires fédéraux qui militèrent en 2014 pour des formules d’union de la gauche aux municipales (dont ceux de Paris et de la Loire-Atlantique).

Leur raisonnement recoupe celui des précédents, à partir d’une considération initiale : le Front de gauche doit sortir d’une illisible querelle de leadership. Là encore, on peut les résumer par un syllogisme : une perspective de gauche ne peut vivre que par des rassemblements très larges, à portée majoritaire ; or Mélenchon rend impossible ces rassemblements par son obsession de l’autonomie : la solution est donc de s’adresser directement aux citoyens, sans limite de départ et sans nécessairement la médiation d’un Front de gauche. Le PCF n’a-t-il pas en lui-même les ressources pour stimuler politiquement le rassemblement venu du bas ? Significativement, les signataires se réclament du Congrès communiste de 2008, quand le PCF avait rompu avec la démarche du courant « antilibéral », avant que ne s’amorce la démarche du Front de gauche.

Le troisième texte (« Dans sa forme actuelle, le Front de gauche ne fait pas envie ») est signé du responsable à la culture du PCF, le sociologue Alain Hayot. Il n’est pas de même nature que les précédents, ne met pas le PCF stricto sensu au centre de la réflexion. Mais s’il invite à s’ouvrir « à ce qui bouge dans le mouvement social et culturel », il reste discret sur les formes politiques du rassemblement.
 Bifurcation à hauts risques

La simultanéité des prises de position critiques et le profil de leurs signataires en disent l’importance. Les leçons que les communistes tireront de la séquence électorale de 2014 vont être déterminantes pour l’évolution du Front de gauche. Il conviendra alors, pour eux, de ne pas oublier ce que furent les expériences électorales difficiles que le PCF a précédemment vécues. Un échec ne doit pas en cacher un autre…

Au milieu des années 1990, alors que le soviétisme s’était effondré et que la critique du libéralisme dominant reprenait du poil de la bête, le PCF pouvait choisir la refondation et un pôle de radicalité ; dans les faits, il se cantonna à la mutation et à la gauche plurielle. Il eut droit à la déconvenue de 2002. Au milieu des années 2000, quand la critique antilibérale pouvait ambitionner d’être majoritaire à gauche après la victoire du Non au référendum constitutionnel européen, le PCF fit formellement le choix des « collectifs antilibéraux ». Mais il l’accompagna d’un autre choix, celui-là téméraire, de la candidature de sa secrétaire nationale à la présidentielle. On en sait le résultat.

Si l’on suit les deux premiers textes, c’est une nouvelle bifurcation qui se dessine. Elle serait à hauts risques. Pour le communisme et pour la gauche de transformation tout entière. Où en est-on en effet aujourd’hui ? Le Front de gauche s’est affirmé dans la précédente consultation européenne. Il a gagné ses galons avec panache à l’élection présidentielle de 2012. Mais il a été déçu par la consultation législative de la même année. Quant à l’étape des municipales, il l’a globalement manquée, à peine moins que le PS, à quelques exceptions près. Pourquoi ce ratage ? Pas excès de présence ? Au contraire : l’échéance a été manquée parce que, globalement le Front a péché par carence de visibilité (une présence lacunaire sur le plan national) et par défaut de lisibilité (une stratégie éparpillée de ses composantes). Une bataille pas franchement menée ne peut pas être une bataille gagnée.
 L’autonomie ne vaut rien si elle tourne à la solitude

« Querelle de leadership » entre Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon, disent certains. Peut-être. Mais qu’est-ce que le Front de gauche au départ ? Le résultat d’une entente entre deux composantes, le PCF et le tout récent Parti de gauche. Est-il devenu autre chose depuis ? Oui et non. Potentiellement, il est devenu mouvement. Structurellement, il est au mieux un cartel ; en pratique, il reste un binôme. Est-ce à cela que ces responsables communistes veulent remédier ? Certainement pas : « l’adhésion directe à une nouvelle force politique n’est pas une réponse efficace  », affirme le texte 2. Pas efficace ? En tout cas, pas essayée… Entre le cartel et la force politique unifiée, il y a sans doute de la marge ; pour l’instant, elle n’a jamais été explorée.

Le Front de gauche est à la fois une réalité installée (qui a bien subi l’épreuve du feu à l’élection présidentielle « reine »), une grande espérance (un début de convergence dynamique après un long éparpillement meurtrier) et un objet hybride. Il s’est fait sa place, de façon autonome. L’autonomie a été sa force. À condition, bien sûr, de ne pas oublier que l’autonomie ne vaut rien, si elle tourne à la solitude. L’autonomie n’est pas une fin ; il n’en reste pas moins qu’elle est un moyen, une médiation incontournable. Le but est le rassemblement le plus large ; il passe par la conquête de l’hégémonie au sein de la gauche ; il suppose donc, de façon continûment visible, l’autonomie à l’égard du PS.

Pour le reste, tout est à penser, à affiner, à améliorer, s’il le faut à refonder. Pour l’instant, il est par exemple évident que le Front de gauche n’est pas associé à de la novation démocratique et populaire. Il ne se confond pas avec la gauche du renoncement ; il ne tranche pas avec la façon ancienne de faire de la politique. En cela, il est loin de couvrir la totalité de la demande « critique ». Mais ce n’est pas en retournant en arrière, ni vers le solo partisan, ni vers l’union de la gauche d’hier, que l’on ira vers des jours heureux.

Le Front de gauche a besoin de vivre, et donc de bouger. Du côté « plus » et « mieux », pas du côté « moins ».

MARTELLI Roger

* Roger Martelli est un historien du communisme. Ancien membre de la direction du Parti communiste français, il est codirecteur de la rédaction du mensuel Regards et a coprésidé la Fondation Copernic avec Anne Le Strat jusqu'en 2009

Notes

[1] Ces contributions sont disponibles sur ESSF (article 31763) : Débat : trois textes publiés dans « L’Humanité » sur le Front de Gauche.

* Paru sous le titre « PCF : avec ou sans le Front de gauche ? » : http://www.regards.fr/web/pcf-avec-ou-sans-le-front-de,7691